lundi 6 août 2007

Hommage à Mgr Jean-Marie Lustiger (1926-2007)

Le cardinal Jean-Marie Lustiger est décédé le 5 août 2007 à Paris, à 80 ans, des suites d'un cancer. Mgr Jean-Marie Lustiger le 5 août 2007. Document Reuters.
L'archevêque de Lyon Philippe Barbarin a rendu "grâce à l'extraordinaire énergie spirituelle" du cardinal Lustiger. "Je rends grâce à l'extraordinaire énergie spirituelle qu'il avait", a déclaré le Primat des Gaules sur RTL ce lundi, qui a salué en Mgr Lustiger "une intelligence vaste, luimmense, mettons même hors du commun (...) une belle culture".
Pour Mgr Barbarin, le "feu spirituel [qui brûlait] à l'intérieur" de l'ancien archevêque de Paris brûlait aussi parfois "ceux qui sont alentour." "Ce n'était pas toujours facile, dit-on, la collaboration avec lui. Mais la beauté de ce qu'il mettait en place se voyait assez rapidement et ensuite entraînait l'adhésion des autres", a-t-il témoigné.
"C'était à la fois un homme de dieu et un pasteur, c'est-à-dire un homme qui savait agir", a souligné l'archevêque de Lyon. "Il a touché la société française, il avait une manière d'entrer dans les débats de société (...) avec beaucoup de clarté et de simplicité, mais aussi de force.(...) On peut dire qu'il a touché avec les mots des hommes d'aujourd'hui les grandes questions de notre société." De cette action, nous sommes aujourd'hui bénéficiaires", a conclu Mgr Barbarin.
Un immigré juif converti devenu cardinal
Mgr Lustiger se présentait comme "un enfant juif immigré converti devenu cardinal". Aaron Lustiger est né le 17 septembre 1926, à Paris, de parents juifs pratiquants polonais, qui avaient fui la persécution. Il s'est converti au catholicisme à l'âge de 14 ans, durant la Deuxième Guerre mondiale.
Il fit ses études secondaires au lycée Montaigne à Paris, et au lycée Pothier à Orléans avant de poursuivre des études supérieures de lettres à la Sorbonne.
Elève au séminaire des Carmes de l'Institut catholique de Paris, il sera ordonné prêtre le 17 avril 1954. Jean-Marie Lustiger sera aumônier de la Sorbonne et des grandes écoles (E.N.S. de Saint-Cloud, Fontenay, École des chartes, École spéciale d'architecture) durant 15 ans.
Directeur du Centre Richelieu en 1959 (qui deviendra le C.E.P.), il sera responsable des aumôneries des nouvelles universités de la région parisienne.
Mgr Lustinger voit la révolte de "Mai 68" comme une "foire d'empoigne". En 1969, il devient curé de la paroisse du XVIeme, Sainte-Jeanne de Chantal, dans un quartier huppé de la capitale.
En 1979, Jean Paul II fait de lui l'évêque d'Orléans.
Mgr Lustiger.Le 27 février 1981, il devient archevêque de Paris, le diocèse le plus important de France. A ses yeux, tout y est à refaire. Il y restera durant 24 ans et ne quittera ses fonctions qu'en février 2005, à l'âge de 78 ans.
Sa route suivra celle du "pape polonais", qui le fait cardinal en 1983, et avec qui il partage le goût de la philosophie, l'intransigeance doctrinale et liturgique.
A la demande de Jean-Paul II, avec lequel il parlait yddish, le cardinal Lustiger se rendit à Auschwitz, pour obtenir le départ des Carmélites en août 1989. Il avoua que ce rendez-vous avec l'Histoire en "ce lieu de mort" fut très dur pour lui, sa maman étant morte à Auschwitz. Il se rendit également en URSS, en Afrique, en Israël, aux Etats-Unis, pour des missions ecclésiales, et non diplomatiques.
Mgr Lustiger reçut les insignes de docteur honoris causa des universités d’Augsbourg et de Melbourne, ainsi que de l’Université Loyola de Chicago. Rappelons que ce titre honorifique est attribué sur proposition d'un Conseil scientifique à une personnalité dont l'engagement et les oeuvres s'inscrivent dans l'esprit de l'Université.
Élu à l'Académie française le 15 juin 1995, Mgr Lustiger sera titulaire du 4eme fauteuil, celui occupé antérieurement par le cardinal Albert Decourtray.
Mgr Lustiger fut également un auteur prolifique qui écrivit 24 livres en 30 ans.
Homme d'Eglise pourfendeur des religions païennes
Mgr Lustiger était considéré comme "la voix" de Jean Paul II, marquant son diocèse par son autorité morale et spirituelle. Médiatique, proche de la société civile, à l'aise dans tous les milieux sociaux, intellectuel charmeur, il ne dédaignait pas les mondanités. Mais jamais il ne s'est écarté des directives pontificales, qui parfois prenaient à contre-pied l'Eglise de France, considérée comme indocile.
Mais quelquefois l'Eglise prit du recul vis-à-vis de son protégé. Cet homme d'Eglise, juif dans le coeur, catholique par la foi, s'inquiétait des dérives de la société, ancienne et moderne. Homme d'ouverture, il récusa par exemple l'"esprit des Lumières", qu'il estimait être une source de néo-paganisme. Or reconnaissons que c'est grâce à ces philosophes néo-classiques du XVIIIeme siècle que s'est développé l'esprit intellectuel à travers des hommes comme Newton, Kant, Voltaire, Diderot ou Rousseau.
Mgr Lustiger dira la même chose dans son livre "La Promesse" publié en 2002, à propos des chrétiens des siècles passés, les traitant de menteurs et d'assassins : "on peut dire que l'attitude concrète des pagano-chrétiens à l'égard du peuple d'Israël est le symptôme de leur infidélité réelle au Christ ou de leur mensonge dans la pseudo-fidélité au Christ. C'est l'aveu involontaire de leur paganisme et de leur péché".
En fait, Mgr Lustiger se sentait investi d'une mission universelle dans l'Eglise, n'hésitant pas à se comparer au prophète Elie et même à Jean-Baptiste, prêchant une "repentance" bien dans le goût de Jean-Paul II. Son livre reprend entre autres les conférences publiques prononcées entre 1995 et 2002 "à l'invitation des plus importantes organisations juives qui, avertit le cardinal, elles-mêmes prenaient acte de l'œuvre de Jean-Paul II et me demandèrent d'en témoigner" à Tel Aviv, Paris, Bruxelles et devant le comité juif américain, à Washington. Il va sans dire que ses propos ont reçu un accueil pour le moins réservé au Vatican.
Comme pour s'excuser, Mgr Lustiger reconnaissait toutefois en 4eme page de couverture que "certains passages étaint... excessifs ou parfois déconcertants", mettant cela sur le compte de sa bonne foi. Très discutable.
Un combattant
Homme de foi et de caractère, Mgr Lustiger s'est exprimé sur des sujets graves : la défense de l'école privée, l'avortement et l'euthanasie, trois thèmes où il épouse les positions traditionnelles de l'Eglise tout en souhaitant responsabiliser plus l'Etat. Mais il s'est aussi opposé aux discriminations sociales, au chômage et en faveur de la paix et de la justice internationale. C'était un "curé d'avant-garde", comme le fut Jean Paul II.
Mgr Lustiger cocélébrant les funérailles de l'abbé Pierre le 26 janvier 2007 en la cathédrale Notre-Dame de Paris.Bien qu'il fut très engagé dans la reconciliation des Eglises, il n'accéda jamais à la présidence de l'Eglise de France. Il sera considéré comme "papabile" à la mort de Jean Paul II, mais avait démenti la rumeur, estimant "avoir atteint les limites de (ses) capacités". Mais il avait ses raisons.
En octobre 2006, il avait expliqué dans une lettre aux prêtres parisiens souffrir d'une "grave maladie" au "traitement lourd", ce qui freinait son activité. Le 31 mai 2007, il passait pour la dernière fois à l'Académie française pour faire ses adieux aux "Immortels". "Vous ne me reverrez pas", leur avait-il lancé. Mgr Lustiger avait concélébré le 26 janvier la messe de funérailles de l'abbé Pierre en la cathédrale Notre-Dame de Paris. Jusqu'à la veille de sa mort, il resta conscient et subit sa maladie avec dignité.
Aaron, Requiescat in Pace.

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