jeudi 11 octobre 2007

Le juge Burton relève 9 erreurs dans le film d'Al Gore

Le documentaire "An Inconvenient Truth", "Une vérité qui dérange" en français, consacrée au changement climatique et réalisé en 2006 par Davis Guggenheim pour la campagne de l'ancien vice président des Etats-Unis Al Gore, vient de faire l'objet de neuf critiques émises par le juge Sir Michael Burton de la Haute Cour de Londres, dans un jugement écrit hier et rapporté ce 11 octobre 2007 par le quotidien "The Times" de Londres et repris dans son webzine.La silouhette d'Al Gore durant l'une de ses conférence sur le changement climatique.
Politiquement parlant, car l'écologie est avant tout une affaire de politique, le juge Burton a des affinités avec le parti Travailliste britannique, le "Labor party", l'équivalent des Démocrates aux Etats-Unis. Il ne partage donc pas l'opinion du Président Bush Jr et de son administration qui sont Républicains. Al Gore est également Démocrate.
Malgré que ce film ait gagné un Oscar en 2007, M.Burton a identifié neuf erreurs significatives dans le documentaire du candidat présidentiel, se demandant s'il fallait encore le présenter aux écoliers.
M.Burton reconnaît que le film est “globalement précis” dans sa présentation des causes et des effets probables du changement climatique mais déclare que certaines commentaires sont faux et peuvent porter à polémique, alimentant “le contexte alarmiste et les exagérations”.
Dans ce qui est un rare avis juridique sur ce que les enfants américains peuvent voir dans la salle de classe, M.Burton précise que “la vision apocalyptique” présentée dans le film est politiquement partisane et ne constitute pas une analyse impartiale et scientifique du changement climatique.
Ce documentaire est sans détours, ainsi que'en témoigne l'Oscar du meilleur film documentaire qu'il a reçu cette année, un film puissant, brillamment présenté et très professionnellement produit”, a déclaré Burton. “Il est construit autour de la présence charismatique de l'ex-vice président Al Gore, dont la croisade vise à persuader le monde des dangers du changement climatique provoqués par le chauffage global.” “Il est maintenant communément admis que ce n'est pas simplement un film de science – bien qu'il soit clair qu'il soit sensiblement basé sur la recherche et l'opinion des scientifiques – mais que c'est un film politique.”Le juge Michael Burton de la High Court de Londres.
L'analyse faite par le juge vise à déterminer si le gouvernement doit continuer son projet de présenter ce film dans toutes les écoles britanniques de l'enseignement secondaire. Il a convenu qu'il pourrait être présenté mais à condition qu'il soit accompagné de nouvelles mises en garde afin que les professeurs nuances les différents points de vues.
La décision du gouvernement de montrer ce film dans les écoles secondaires avait fait l'objet d'une attaque de Stewart Dim-mock, un directeur d'école du Kent et membre du groupe politique du New Party, qui accusait le gouvernement d'effectuer "un lavage de cerveau" sur les enfants. Le juge Burton a donc été nommé pour enquêter sur cette question. N'étant pas expert en ces matières, il a sollicité l'expertise des scientifiques de l'IPCC notamment. Néanmoins, sur base de ces attendus, il assume la totale responsabilité de ses conclusions et on ne peut pas dire qu'elles transpirent d'une totale vérité scientifique, si d'ailleurs elle existe. Explications.
Les neuf erreursLa première erreur faite par M. Gore, a indiqué M.Burton dans son jugement écrit intitulé "Al Gore’s inconvenient judgment", était de parler de la dévastation potentielle occasionnée par une élévation du niveau des mers provoquée par la fonte des glaces polaires.
Selon Al Gore, le niveau des mers pourrait augmenter de 20 pieds (~7 mètres) “dans un proche avenir”. Burton écarte ce risque, le jugeant “distinctement alarmiste”. Selon ses sources, une telle élévation aurait lieu “seulement plus tard, et durant le millénaire”.
M.Burton ajoute : “Le scénario d'Armagedon qu'il prévoit, et le fait qu'il suggère que les élévations du niveau de la mer de 7 mètres pourraient se produire dans un avenir immédiat, n'est pas en conformité avec le consensus scientifique.”
Le fait que des atolls du Pacifique avaient déjà été évacués a été avancé “sans aucune preuve”, tandis que le message véhiculé par les deux graphiques suggérant qu'il y a eu "un ajustement exact" des concentrations de gaz carbonique et des températures au cours des 650000 dernières années, est exagéré.
La suggestion de M.Gore concernant l'arrêt du courant du Gulf Stream réchauffant l'Océan Atlantique Nord a été contredite par un groupe international de chercheurs sur l'évaluation du changement climatique de l'IPCC, jugeant qu'il était “très peu susceptible” de se produire.
M.Gore considère que l'assèchement du lac Tchad, la perte des neiges du Mt Kilimanjaro et le cyclone Katrina se sont manifestés en raison du changement climatique. Pour M.Burton aucune étude scientifique n'a pu apporter la preuve qu'il y avait un lien direct entre ces événements.
Selon le juge, l'assèchement du lac Tchad “résulte plus vraisemblablement d'autres facteurs, tels que l'augmentation de la population et le surpâturage, ainsi que d'une variabilité climatique régionale”. La fonte des neiges du Kilimanjaro a été “principalement attribuée aux changements climatiques induits par les activités humaines".
Le juge a également expliqué qu'il n'existait aucune preuve pouvant soutenir le fait que les ours blancs étaient en train de se noyer du fait que la banquise fondait en raison du réchauffement global. Les seuls ours blancs noyés découverts par le juge sont quatre individus morts suite à une tempête.
De même, le juge a contesté les propos d'Al Gore affirmant que le corail blanchissait en raison du changement climatique. Le juge a conclu qu'il était difficile de séparer les effets strictement directs liés au changement climatique d'autres facteurs.
En dépit des neuf erreurs significatives que le juge a trouvées dans le documentaire, plusieurs faits décrits dans le film sont entièrement soutenus par la communauté scientifique, reconnaît M.Burton. Il a identifié “quatre principales hypothèses scientifiques dont chacune est très bien décrite dans des articles scientifiques soutenus par des référés et en accord avec les dernières conclusions de l'IPCC."
En particulier, M.Burton est d'accord avec les principaux arguments avancés par M.Gore : “ le changement climatique est principalement attribuable aux émissions artificielles de gaz carbonique, du méthane et du protoxyde d'azote (gaz à effet de serre).”
Les trois autres points admis par le juge sont que les températures globales s'élèvent et sont susceptibles de continuer à augmenter, que le changement climatique sera préjudiciable s'il n'est pas enrayé, et qu'il est tout à fait possible que les gouvernements et les individus réduisent ses divers impacts.
Commentaires
En tant que météorologiste et écologiste notamment, je peux m'avancer à critiquer cette étude. S'il faut reconnaître au juge Burton le courage d'avoir critiqué en détail chacun des arguments avancé par Al Gore, il semble qu'il ait toutefois un peu rapidement interprété les statistiques et jouer sur les mots pour infirmer certaines observations.
Ainsi, parler de "proche avenir" (Al Gore) ou "plus tard" (juge Burton), les deux termes sont aussi indéterminés l'un que l'autre. D'un autre côté, annoncer que le niveau des mers va augmenter de 7m dans un "avenir immédiat" comme le dit Al Gore, est sans doute effectivement alarmiste.
En revanche, dans la région de Kiribati ou à Tuvalu, le niveau de la mer augmente de 3 mm par an, soit 50% de plus que la moyenne observée au cours du XXeme siècle. Par endroit l'eau s'élève de 3 cm par an ! Ce sont des faits, pas des spéculations !
Dans quelques années, les habitants de Tuvalu devront quitter définitivement leur archipel pour s'installer à Fiji située 1000 km plus au sud ou plus loin encore, en Nouvelle Zélande ou en Australie. Beaucoup d'habitants et d'étudiants ont déjà fait le pas. Le déplacement de ces populations a déjà été planifié par certains gouvernements ou ONG. Bientôt l'ONU devra créer un nouveau statut pour ces gens "réfugiés de l'environnement".
Quant au corail, il suffit de regarder l'échelle du phénomène : le corail blanchit dans toutes les eaux tropicales, on ne voit plus un film sur la plongée sous-marine où le corail n'est pas touché par l'élévation de la température de l'eau. Plus de 600 nouvelles espèces de poissons tropicaux ont migré en Méditerranée par le canal de Suez.
S'il n'est pas prouvé que le tapis-roulant du Gulf Stream pourrait s'arrêter s'il contient trop d'eau douce, le fait que le phénomène soit envisageable mérite qu'il soit étudié et surveillé de près car une telle catastrophe conduirait toute l'Europe occidentale vers un petit âge glaciaire.
Que M.Burton dise que la fonte des neiges du Kilimanjaro a été “principalement attribuée aux changements climatiques induits par les activités humaines", cela ne revient-il pas à dire que nous assistons à un changement climatique d'origine anthropique ? Evidemment ! Pourquoi M.Burton joue-t-il sur les mots ? S'il veut se décrédibiliser, il y arrivera.
Quant aux ours polaires, le juge Burton n'a pas dû lire les bons articles. Des études récentes nous apportent la preuve que leur population a chuté de 30% en quelques années (ils sont sur la liste rouge de l'IUCN depuis 2007), que leur habitat disparaît suite à la fonte de la banquise et qu'ils se rapprochent dangereusement des habitations.
De l'interprétation des statistiques
Encore heureux que le juge Burton reconnaisse que le documentaire est "globalement précis", mais nous n'avons pas attendu son avis pour en être persuadé !
Je rappellerais toutefois à M.Burton, qu'il est toujours possible d'interpréter des données statistiques dans un sens ou dans l'autre, de façon à conforter ou invalider une théorie. Tout le fond du problème est là. Prenons un simple exemple très explicite.
Dire en analysant l'ADN d'une personne qu'elle est coupable d'un crime avec 99.99% de certitude, sachant qu'elle habite dans une ville comptant un million d'habitants, signifie a priori qu'elle est condamnée d'avance. Or pour son avocat, cela signifie qu'elle est innocente ! Pourquoi ? Car ce 0.01% d'incertitude fait toute la différence : il signifie qu'il existe en théorie 100 personnes tout aussi suspectes que son client et qui n'ont pas été identifiées... Sans autre preuve, le suspect sera donc libéré.
A l'inverse, même avec 30% de résultats positifs, vous pouvez encore avoir raison. En effet, il suffit par exemple de considérer que 10% des résultats ne sont pas exploitables, que 30% ne vont pas dans votre sens et que 30% sont indéterminés ! Rien n'est plus facile que d'avoir raison !
Ca c'est la réalité scientifique sur laquelle aurait dû insister un peu plus Michael Burton pour nuancer ses conclusions.
De plus, il ne faut pas oublier qu'en l'espace de 2 ans, les phénomènes décrits par Al Gore ont évolué, et pas vraiment dans le bon sens, renforçant son opinion.
S'il est vrai qu'Al Gore a exagéré certains effets, "globalement" comme le dit Burton, il a raison. Et Burton ne croit pas si bien dire quand il conseille de sensibiliser les enseignants et les étudiants sur la question du sens de la "vérité scientifique".
Mais finalement, si cela est important, l'essentiel est ailleurs. Tous deux ont fait passer un message écologique : protégeons la terre avant qu'il ne soit trop tard. C'est également le message qu'adresse Action Day à tous les blogueurs le 15 octobre 2007.
Dans les médias
Le juge Michael Burton est magistrat de la Haute Cour de Justice de Londres depuis 1998. Agé de 60 ans, il a été formé à l'Université d'Eton and Balliol College, à Oxford.
L'ouvrage d'Al Gore "An Inconvenient Truth" (Une vérité qui dérange en français) est classé en troisième place des ventes aux Etats-Unis et a rapporté 23 millions de dollars US. Le New York Times l'a élu "best-seller" le 11 juin 2006. L'ouvrage s'est vendu à 25000 exemplaires en langue française.
Au box office, le film disponible en DVD, a rapporté 49 millions de dollars et ainsi que nous l'avons dit, a remporté l'Oscar du meilleur documentaire en 2007. Al Gore a donné plus de 1000 conférences aux Etats-Unis et ailleurs.
Al Gore a été nommé en même temps que l'activiste canadienne et Inuit Sheila Watt-Cloutier et de nombreux autres nominés pour le prix Nobel de la paix 2007 qui récompense les personnes menant des actions humanitaires.
Des journalistes ont demandé au Président Bush, s'il comptait aller voir le film. Il a répondu : "J'en doute". Voilà comment un chef d'Etat balaye d'un revers de la main le problème du réchauffement climatique ! Heureusement la majorité des gens ne pensent pas comme M.Bush. Nous n'aurons plus longtemps à le supporter. En attendant, nous devons avancer en matière d'écologie et l'Europe montre l'exemple, bien qu'encore trop timidement.
Pour plus d'information, consultez le dossier sur L'Ecologie et l'Environnement.

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