jeudi 1 août 2013

Doel, un village abandonné

Doel est un petit village belge de la commune flamande de Beveren située au nord d'Anvers, sur la rive gauche de l'embouchure de l'Escaut, à quelques brasses des docks où accostent les supercontainers du monde entier.

Vue aérienne du village de Doel sur la rive gauche de l'Escaut.
Pour arriver dans le village, suivez la direction de Doel, dirigez-vous vers les docks 1708-1800 où s'alignent les hangars d'entreprises puis roulez encore quelques kilomètres vers le nord, localement dans une zone non balisée (j'ai l'impression d'être au bout du monde), pour rejoindre la chaussée Engelsesteeweg. C'est une longue voie sans issue orientée vers l'est qui conduit à Doel et qui se termine devant une digue culminant à environ 15 mètres de haut, protégeant le village d'une éventuelle crue du canal.

Doel vu depuis la digue. La chaussée d'Engelsesteweeg est sur la droite, coté nord.
Le Vieux Doel
Le village est délimité au sud par la rue Camermanstraat, au nord par la chaussée Engelsesteenweg, à l'ouest par la rue Hoofhuistraat et à l'est par l'Escaut. La centrale nucléaire de Doel est située 1 km plus au nord dont on voit les réfrigérants depuis le canal.
Réduit à un espace habité d'environ 150 ha, le village s'articule autour de 3 ou 4 rues perpendiculaires et comprend environ 300 habitations. 26 personnes y résident encore.
Profitant d'un weekend ensoleillé, je suis arrivé à Doel le dimanche 28 juillet 2013 au matin. A part les noeuds autoroutiers et les périphériques urbains un plus plus denses, la route était dégagée.

Les premières maisons qu'on aperçoit en arrivant à Doel, sur le côté droit de la chaussée d'Engelsesteenweg.
10h30. En arrivant à Doel, j'ai le sentiment étrange que le village est endormi. Tout est calme, trop calme, même pour un dimanche à la campagne.
Je ne vois personne et à peine une poignée de voitures sont garées le long d'Engelsesteeweg. Même le moulin à vent s'est figé. Je ne croise personne, juste une voiture s'éloigne et semble déserter le village.

Les surprises se succèdent...
Le temps est serein et je me dis qu'en principe le village devrait doucement se réveiller. Mais à mesure que l'heure avance, tout reste calme et inanimé. C'est étonnant car la chaussée principale est entretenue et rien ne laisse présager ce que je vais découvrir.


A mesure que je me rapproche de la digue qui se profile à l'horizon je découvre un rez-de-chaussée condamné et partiellement tagué, plus loin un graffiti sur une façade, puis deux puis c'est l'envolée fantastique !
C'est alors que je réalise que je suis bien arrivé dans ce village qu'on dit abandonné... Que s'est-il passé à Doel ? Comment un village peut être abandonné en Belgique ?

 

L'extension du port d'Anvers
Tout commença en 1963, lorsque le gouvernement décida d'augmenter la capacité du port d'Anvers et d'agrandir les docks, ce qui devait entraîner l'expropriation de tous les propriétaires de Doel et du pays de Waas et la disparition du village.

 
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En 1968, on interdit les nouvelles constructions puis vint la crise des années '70 et le projet tomba à l'eau. Mais le projet d'expropriation n'a jamais réellement été abandonné et est revenu à l'ordre du jour des gouvernements flamands successifs, y compris d'Agalev, les Ecolo flamands. 


En 2002, le conseil d'Etat gela toute modification du plan de secteur, Doel restait une zone résidentielle. Mais en 2007 la Région flamande prit la décision de construire un nouveau bassin à marée, le "Saeftinghedok", qui exigeait l'expropriation et la démolition de l'ancien Doel.


Certains habitants irréductibles se sont opposés au projet et ont reçu le soutien de divers artistes qui sont venus dessiner des graffiti sur les immeubles abandonnés.


Les médias se sont faits l'écho du combat des habitants et ont fait la renommée du village et de ses graffiti. Depuis c'est le status quo. 
D'ailleurs, au premier étage de cette maison située au carrefour de Pastorijstraat et Visserstraat je lis "Doel moet blijven !!!" (Doel doit rester !!!). C'est une banderole du comité de soutien Doel 2020 qui s'oppose à l'expropriation.

 

Près de l'ancienne pompe à essence un graffiti rappelle également leur action. Le combat n'est pas terminé.

 

Des graffiti et la désolation partout
A la fois curieux, incrédule et excité par ce que je découvre, j'explore le village. Soudain, au détour d'une rue je découvre un rat de dix mètres de long dessiné sur toute la façade d'une maison en brique ! La plupart ont été peints à la bombe en 2009 par Jiem, Roa et Resto. D'autres ont été peints à la brosse et la bombe en 2010 par Emer.K, Flavia et Grolou.

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Plus loin plusieurs graffiti ornent tout le rez-de-chaussée d'une maison. Près de la digue, une maison entière a été peinte en rouge et des silhouettes ornent les fenêtres du premier étage. Mais l'intérieur est saccagé.
D'ailleurs la Gazette locale rappelle que les rares habitations encore meublées sont périodiquement cambriolées.


Au hasard de mon exploration, j'entre dans une maison abandonnée et découvre sur le mur du garage un immense graffiti aux couleurs chatoyantes que peu de visiteurs ont sans doute eu l'occasion de voir. 

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Dans cette allée de parking, toutes les portes de garages ont été taguées et les tagueurs n'ont pas manqué d'imagination. Voici quelques exemples.

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Plus loin les fenêtres sont couvertes de graffiti colorés. Entre deux blocs de maisons je découvre un terrain vague, une grande table en bois pourrie et des chaises en plastique renversées d'un autre âge. Ca ne me réjouit pas, ce coin est vraiment en friche et c'est la même situation un peu partout dans le village.


A mesure que je m'avance et parcours les rue je ressens une grande désolation : les rues sont désertes, dans beaucoup d'habitations les portes et fenêtres ont été condamnées, fermées par des plaques de contreplaqués ou même en métal.
Parfois les vitres sont brisées, les volets sont baissés, les portes de garage ont disparu ou les plans d'eau sont envahis de mousses et de détritus.


Même les pompes à essence ont été éventrées et taguées. Mises à vif, ces trois machines ressemblent encore plus à des robots, leur donnant un look de fin du monde.

Ces pompes vandalisées sont à l'entrée du village sur Engelsesteenweg.
D'autres endroits sont plus lyriques. Au fond d'une prairie, sur une barricade en ciment je découvre le graffiti d'un cochon bleu apparaissant entre des berces du Caucase, une plante invasive et toxique.


Sur le mur aveugle d'une autre maison en ruine, une sorte de corbeau a été dessiné dans son contexte. Un peu plus loin c'est un merle.

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Malgré l'état délabré des lieux, même Mona Lisa a trouvé sa place au-dessus des ruines d'un feu ouvert.


Je m'enfonce dans une allée de garages et découvre les débris d'un banc et d'autres graffiti perdus parmi les fleurs sauvages. Ici aussi les tagueurs ont pris soin de mettre le personnage en situation.


Je visite une autre rue. Un chat abandonné attend sur le trottoir que le temps passe. Un autre s'est installé au Soleil à l'abri des regards indiscrets.
Voilà encore un mur tagué. Il mêle formes abstraites et personnages chimériques.

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Au loin, entre les herbes sauvages je distingue deux têtes très colorées peintes sur le mur extérieur d'un hangar abandonné. Les herbes sont déjà hautes et dans quelques années les graffiti ne seront probablement plus visibles de la route.


Des peintures sur bois ont également été exposés sur certaines fenêtres.

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Des hommes et des fleurs parmi les graffiti
Tiens, des fleurs décorent l'appui de fenêtre extérieur de cette belle maison de maître en briques et un peu plus loin je découvre une habitation visiblement entretenue. Je suis dans la rue Hooghuistraat. Ici plusieurs dizaines de maisons sont encore habitées, en témoignent les voitures garées devant les portes.


Quelqu'un vient justement de sortir sa voiture du garage et s'en va avec son enfant. C'est étrange, comme si les graffiti et cette atmosphère de désolation ne dérangeaient pas cette famille.
Plus loin un habitant ouvre la porte d'un immeuble en bon état et en sort quelques colis. La maison lui appartient toujours mais il n'y habite plus. Il repart sans s'attarder.
L'église aussi est entretenue et vient de sonner midi ! Il y a donc encore un peu de vie à Doel !


Il y a également un café taverne baptisé "Doel 5" rue Parkstraat. Lui au moins n'est pas tagué ! Il est fréquenté par quelques touristes de passage et des jeunes qui discutent sur la terrasse.
Le "Doel5" donne sur un petit parc pour enfants. Le toboggan rouge et bleu est entretenu ainsi que les plantations mais le parc est désert et comme partout ici les murs des habitations qui l'entourent sont couverts de graffiti.


Le contraste est navrant et ne donne pas trop envie d'y jouer, d'ailleurs il n'y a pas d'enfants ici.
En revanche, il y a toujours un abri d'autobus et un bus municipal s'y arrête quelques fois par jour.
Au détour d'un raccourci je découvre une série de graffiti dans une allée et un portrait digne d'une BD signé MDZ. Quand il est bien dessiné, un graffiti vaut le détour.

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Mais ce n'est pas partout le cas. Sur certaines façades les tagueurs se sont exprimés, occupant l'espace, sans plus. Les graffiti ont si peu de style qu'ils ne rendent pas hommage aux autres artistes. Je ne les ai pas présentés ici.
L'intérieur des habitations est pire encore. Certaines portes sont entr'ouvertes ou ont été retirées, laissant entrevoir un chaos de débris. Ces immeubles sont insalubres et certains devraient être rasés par sécurité.

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Il est temps pour moi de faire une pause. Je m'installe sur un banc face à l'Escaut. Je croise quelques habitants de la région qui se promènent en famille ou se baladent à vélo sur la digue.
On dirait que deux mondes se croisent : d'un côté les touristes qui ne voient que les graffiti, de l'autre les habitants de la région qui ne les regardent même plus.


Sur la digue aussi le contraste est étonnant, entre tradition et modernité : le moulin à vent se dresse toujours face à la centrale de Doel... Oui, il y a de l'énergie à revendre ici.


Images infrarouge à 665 nm
Pour terminer cette visite, je profite de l'occasion pour faire quelques photos en proche infrarouge à 665 nm avec un APN spécialement converti à cet usage. Voici deux images composites prises en lumière blanche (les graffiti) et en IR (l'arrière plan). On se croirait vraiment sur une autre planète !

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Répertoire des villes et objets abandonnés
Detroit, a city in decay, blog Desert Places
50 villes fantômes et abandonnées à travers le monde, Urban Ghosts
33 plus beaux endroits abandonnés du monde, BuzzFeed
Les villes fantômes les plus étranges du monde, iO9
17 villes abandonnées autour du monde (avec géolocalisation), Though Catalog.
Cet article a été consulté par plus de 1500 internautes et a été référencé sur d'autres sites. Il a également inspiré un reportage TV de la Une (RTBF) fin 2013. Merci pour votre intérêt.

2 commentaires :

  1. J'ai vu hier soir un documentaire sur la disparition de ce village dont je n'avais jamais entendu parler, L'Ange de Doël. Vous en donnez une autre image, colorée et sans vie alors que le réalisateur s'est plutôt attaché au désastre humain. Merci. M-C A.

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