mardi 5 juin 2007

Naufrage de l'Erika : Total bientôt condamné

Une "marée noire" est toujours une catastrophe écologique, commerciale et industrielle pour la région qu'elle frappe. Selon les régions, les dommages écologiques et le préjudice commercial peuvent conduire certaines familles de pêcheurs à la faillite. L'accident de l'Erika reste à ce jour le naufrage le plus catastrophique que connut la France. Rappelons les faits.
L'Erika : chronique d'une marée noire annoncée
Nous étions le 12 décembre 1999. Le pétrolier Erika battant pavillon maltais et affrété par la société Total-Fina-Elf faisait naufrage au large de la Bretagne après avoir signalé une avarie (une gîte anormale) au poste de Cross Étel du Morbihan. A 8h du matin, le navire se cassa en deux et libéra 10000 tonnes de pétrole en mer.
Le lendemain la partie avant se brisa et coula par 120 mètres de profondeur à 55 km des côtes. A partir du mercredi 15 décembre, 3 nappes de pétrole furent identifiées mais leur retenue au large des côtes ainsi que le pompage s’avérèrent difficiles en raison des conditions météos et de l'obstruction fréquente des pompes.
Dix jours plus tard, la grande tempête de Noël 1999 s’abattit sur l’Europe occidentale. Les premières nappes de pétrole atteignirent la côte près de Lorient et souillèrent des centaines de kilomètres de plages. Un désastre écologique s'annoncait mais la ministre de l’Ecologie, Dominique Voynet, se voulut rassurante : « ce n'était pas la catastrophe du siècle » osait-elle dire. La suite de l’histoire lui donnera tord.
A l’été 2000, quelque 11245 tonnes de pétrole furent récupérées des parties immergées du navire. Au total, 400 km de côtes du Finistère à la Charente-Maritime furent souillés. Quelques 1500 hommes, civils et militaires nettoyèrent bénévolement les plages françaises. On estime qu'entre 150 et 300000 oiseaux mazoutés (dont 80 % des guillemots de Troïl) furent tués, soit 10 fois plus que pour le naufrage de l'Amoco Cadiz en 1978. Le poids des déchets fut estimé à 250000 tonnes (contre 223000 tonnes pour l’Amoco Cadiz). En 1978, c’est la Shell américaine qui fut la cible des écologistes. Aujourd’hui c’est un groupe franco-belge, Total-Fina-Elf.
Coût du naufrage
Le nauvrage de l’Erika coûta environ 1 milliard d'euros ventilés à raison de 230 millions d'euros réclamés par les victimes, auxquels s'ajoutent au moins 400 millions d’euros pour le dommage écologique. L’Etat français a dépensé 153 millions d’euros plus 200 millions pour le pompage des épaves de l'Erika, certains chantiers de dépollution et le traitement des déchets générés par la marée noire. Le tout a été pris en charge par Total, qui a promis, s'il en demande le remboursement (ce qui serait scandaleux), de se placer en dernier de la liste.
Quand aux indemnisations, le plafond prévu par le Fipol ne dépasse pas 30 millions d'euros et à ce jour 1 millions d'euros seulement ont été versés aux victimes de la marée noire.
2007 : ouverture du procès de l'Erika
Le procès n’a eu lieu que le 12 février 2007. Les plaidoiries ont duré 4 mois. Maître Faro, avocat des principales associations des parties civiles a tenu un blog sur lequel il relata l’évolution du procès.
Thierry Desmarets, PDG de Total à l'époque, avait admis devant une commission de l'Assemblée que sa société était "l'un des maillons d'une chaîne qui a failli" et admettait qu'elle devrait "en assumer pleinement les conséquences et les responsabilités".
Le 21 mai 2007, l'avocat s'est indigné de constater que, dans leurs conclusions écrites remises le matin même à toutes les parties au procès, les avocats de Total confirmaient leur intention de demander une relaxe complète et niaient toute responsabilité !
Le 4 juin 2007, les coupables étaient enfin convoqués au tribunal pour entendre le réquisitoire final. Les quelques 100 parties civiles au procès, régions, départements, communes, Etat français, associations et personnes privées, réclamaient un milliard d'euros de dommages aux 15 prévenus.
La relaxe a été requise contre les responsables des secours mais le ministère public a exigé la sévérité pour Total, l'armateur, le gestionnaire et la société de classification de l'Erika. Le ministère public a dénoncé l'enchaînement des "comportements désinvoltes" qui ont abouti au naufrage du pétrolier.
Total et ses deux filiales, l'armateur Giuseppe Savarese, le gestionnaire Antonio Pollara, la société de classification Rina et le capitaine indien Karun Mathur doivent être "condamnés du chef de pollution", a lancé le procureur Laurent Michel, après plus de cinq heures de réquisitions du ministère public. "Dans cette affaire, chaque fois, on a choisi l'économie au détriment de la sécurité", a-t-il dit, en demandant l'amende maximum de 375000 euros pour Total et l'une de ses filiales, et pour le Rina.
Cette sanction pénale sera négligeable en elle-même pour le groupe Total, qui a annoncé un bénéfice record de 12.3 milliards d'euros pour 2005 ! C'est surtout la déclaration de culpabilité qui pourrait entraîner sa responsabilité civile et contraindre le groupe pétrolier à réparer les dommages davantage qu'il ne l'a déjà fait.
De la même manière, la peine maximale, soit 1 an de prison et 75000 euros d'amende ont été demandés pour l'armateur et le gestionnaire, avec possibilité de sursis puisqu'ils n'ont pas d'antécédents judiciaires.
Pour le capitaine indien Karun Mathur qui fut libéré aussitôt après l'accident et resta en Inde, l'accusation réclame 1000 euros d'amende pour le délit de pollution, mais souhaite sa relaxe pour mise en danger de la vie d'autrui. "Il peut lui être reproché d'avoir appareillé à bord d'un navire aux infrastructures manifestement dangereuses (puisqu'il) avait inspecté les cuves de ballast et constaté des anomalies", expiqua l'accusation.
Au total, huit relaxes ont été demandées, toutes pour des personnes physiques. L'accusation a retenu que leur matériel vétuste leur imposait des "difficultés techniques", et que le jour du naufrage, en pleine "tempête", ils étaient débordés par "d'autres événements urgents".
On retiendra que le procureur a accusé Total de nier ses responsabilités, alors qu'il "supervisait partiellement la marche même du navire". Quant au vetting, cette inspection facultative du bateau, elle engage sa "responsabilité", a-t-il assuré, jugeant "pour le moins douteux" que la société n'en ait pas eu conscience.
Quant à l'armateur et au gestionnaire, "les auteurs principaux" de l'état du bateau, ils ne pouvaient ignorer "le risque particulièrement grave de pollution" causé par "la corrosion manifeste, généralisée et ravageuse" de ce bateau proche de 25 ans.
Rina, quant à elle, "s'est contentée, par complaisance pour son client (Giuseppe Savarese) de prescrire de nouvelles mesures d'épaisseur" de la coque, sans suspendre les certificats de navigabilité.
Dans ce procès pénal, le ministère public n'a pas à se prononcer sur l'aspect civil, à savoir les centaines de millions d'euros d'indemnisations demandées par les collectivités locales ou associations, des attaques directes au portefeuille que redoute d'abord Total, le plus solvable.
Mais la procureure Marjorie Obadia, s'excusant presque que les peines demandées soient "dérisoires", puisque fixées par une loi de 1983, avant la catastrophe, a choisi de faire une incursion "inhabituelle" sur le terrain civil. Avec son jugement, a-t-elle dit, le tribunal fera "jurisprudence", en décidant notamment "de la hauteur des réparations qu'il accorde et de la nature des préjudices", une allusion au "préjudice écologique" que les parties civiles veulent voir reconnu, ce qui serait une première.
Le verdict est attendu pour fin 2007 ou début 2008.
A l'avenir, une législation et un contrôle renforcés
La condamnation de Total comme de toute société pétrolière ternit bien l'image de marque de la société durant quelques temps mais ses clients n'iront pas pour autant s'alimenter chez le concurrent qui procède de toute façon de la même manière.
Cela ne va pas non plus affecter le porte-feuille de la société ni celui de ses actionnaires quand on sait que son bénéfice est plus de 30000 fois supérieur à l'amende... C'est donc un combat perdu d'avance du pot de terre contre le pot de fer du lobby pétrolier. Si la condamnation de Total ne le rend pas plus responsable à l'avenir, seuls un renforcement de la législation et des contrôles des navires pourront, espérons-le, faire changer d'attitude les sociétés pétrolières comme les armateurs et nous éviter de subir de nouvelles marées noires.
Aujourd'hui par exemple, l'Etat français et l'Europe sont mieux équipés pour combattre les marées noires, y compris sur le plan législatif.
Ainsi il existe une Agence Européenne pour la Sécurité Maritime (EMSA) qui publie sur son site internet une liste des navires interdits. Cette liste noire est régulièrement mise à jour et mentionne l’historique du contrôle des navires interdits effectués par les autorités du port concerné.
On apprend ainsi qu'entre avril 2003 et juin 2007, pas moins de 60 navires, battant 18 pavillons différents, ont fait l’objet d’un refus d’accès dans les ports de l'Union européenne. La liste comprend des pétroliers, des vraquiers, des navires-citernes pour produits chimiques et même des navires à passagers originaires du monde entier.
Ces contrôles n'empêcheront bien sûr jamais un pétrolier de provoquer un accident dans la Manche, raison pour laquelle la France a développé de nouveaux moyens d'actions sur le terrain : bateau de nettoyage des marées noires, contrôle renforcé des douanes, surveillance du trafic et de la pollution maritimes par satellite et par avion.

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