lundi 24 septembre 2007

Birmanie : quand les moines luttent sans violence

Depuis le 19 août 2007, les bonzes du Myanmar, ex-Birmanie, ont organisé silencieusement un mouvement de protestation à Rangoon (Yangon), l'ancienne capitale du pays, Manifestation pacifique de bonzes birmans à Rangoon, le 18 septembre 2007. Document Reuters.contre la junte militaire, après l'augmentation brutale de 66% du prix de l’essence, de 100% de celui du diesel, de 200% de celui des transports en commun, ainsi que du prix des biens de premières nécessités, des décisions impopulaires qui affectent sévèrement la population de ce pays pauvre d'Asie du Sud-Est. Un officiel s'est contenté d’expliquer que l’Etat "devait faire partager aux consommateurs son fardeau".
Très mécontents, les 21 et 24 septembre 2007 les moines ont exhorte le public à se joindre aux protestations contre le "despotisme militaire" du pays. "Pour bannir le mauvais régime ennemi du sol birman pour toujours, les masses unies doivent avancer main dans la main avec les forces unies du clergé", a précisé l'Alliance des moines birmans.
Au cours des manifestations, la population a brandi des pancartes contre le pouvoir et scandé des slogans réclamant la liberté d'expression et la démocratie.
D'une manifestation de 200 bonzes au départ, nous en sommes un mois plus tard à une manifestation pacifique de plus de 15000 moines auxquels se sont joints plus de 100000 personnes ! Dans certaines villes, les rues sont bondées de manifestants sur plusieurs kilomètres. Le phénomène a pris une ampleur exceptionnelle, que l'on n'a plus connu depuis les émeutes de 1988.
Des moines en lutte contre la dictature
Il nous paraît étonnant de voir des moines manifester et d'autant plus dans un pays aussi fermé et répressif que la Birmanie.
Manifestation pacifique de bonzes Birman à Mandalay, le 21 septembre 2007. Document AP.
En effet, depuis que la junte est au pouvoir, cela fait 45 ans (1962), des camps d'internement et de travaux forcés ont été ouverts dans tout le pays pour réprimer les intellectuels et tous ceux qui essayent de s'opposer au régime militaire.
Aujourd'hui, la Croix Rouge n'a même pas accès aux prisons et les journalistes trop curieux sont "persona non grata" et expulsés du pays. Le régime n'hésite pas à emprisonner des dissidents à vie où à les laisser mourir quand il ne les assassine pas.
Dans ce contexte, les moines ont toujours été à la pointe de la contestation en Birmanie. Ils sont appréciés du peuple et respectés non seulement parce que tous les hommes ont été moines durant leur adolescence, mais leur communauté représentent pratiquement le dernier mouvement démocratique encore organisé dans le pays.
Ils sont également aux côtés de la population quotidiennement et connaissent bien leurs problèmes. Il est donc naturel que les moines la représentent et manifestent en son nom.
Par ailleurs, sur le plan économique, personne ne peut accepter que dans un pays potentiellement riche (ils ont des minerais, du pétrole, du gaz, des bois précieux sans parler du pavot), 50% du budget du pays soit consacré à l'armée, que le pays soit désorganisé et que les despotes au pouvoir et leur famille s'enrichissent sur le dos de la population.
La fille du Président Than Shwe par exemple, portait ostenciblement un collier serti de diamants lors de son mariage, fait qui n'a pas manqué d'être critiqué alors que la population vit sous le seuil de pauvreté.Document SIPA.
Quant à l'action politique du Président, Than Shwe peut bien croupir quelques années en prison pour l'assassinat ou les tentatives d'assassinats prémédités de Daw Aung San Suu Kyi, U Tin Oo, et leur entourage, tous membres de la Ligue Nationale pour la Démocratie (NLD).
Actuellement l'opposante birmane Daw Aung San Suu Kyi est toujours assignée à résidence depuis pratiquement 17 ans, alors que son parti avait remporté des élections importantes en 1990 avec 80% des voix, mais la junte n'a jamais reconnu les résultats. En 1991, la dissidente reçut même le prix Nobel de la Paix, mais le gouvernement en place est resté sourd aux appels de la population et de la communaté internationale.
Voilà dans quel contexte se déroulent ces manifestations. Le fait qu'elles restent non violentes rendent ses partisans d'autant plus respectables et leur message plus lourd de sens, signe de la détermination des manifestants.
Soutiens et revendications
Dans un communiqué rendu public par l'Alliance des moines de Birmanie le 23 septembre 2007, malgré la mousson, les moines ont promis de continuer à manifester, jusqu'à ce que le gouvernement militaire, qu'ils considèrent comme l'ennemi du peuple, quitte le pouvoir.
En parallèle, l'opposante birmane Aung San Suu Kyi, a salué les moines bouddhistes qui ont fait une halte devant son domicile. Elle était visiblement très émue devant leur action et leur soutien à sa cause.
A en juger par la taille de la manifestation du 24 septembre, l'Alliance a le soutien du peuple et notamment des habitants de Mandalay, la deuxième ville du pays et le coeur spirituel du bouddhisme birman, où vivent la plupart des 500000 moines que compte le pays.
Les moines ont également le soutien de la communauté internationale, notamment des Etats-Unis et de la France, de célébrités, et l'ONU est en voie de leur emboîter le pas. Les moines ont donc toutes les raisons de poursuivre leur action. Embarras du gouvernement
Devant l'ampleur de la situation, le gouvernement est embarrassé car les généraux au pouvoir ne veulent pas donner l’image d’un régime en conflit avec le clergé bouddhiste, la plus haute autorité morale du pays, mais ne veulent pas non plus passer pour des faibles.
les moines manifestant dans les rues, supportés par les civils. Documents Mizzima news/AP.Toutefois, le gouvernement a menacé ce 24 septembre 2007 de "prendre des mesures" contre les moines et l'a répété clairement sur les radios et dans la presse sur un ton qui ne laisse rien présager de bon.
Immédiatement, le Dalaï Lama, leader spirituel tibétain, autorité morale du bouddhisme et symbole politique de premier plan, a apporté son "plein soutien" aux moines manifestant à Rangoon et appelé la junte militaire à ne pas faire usage de la force.
Dans un pays où les moines sont très respectés, la junte cherche à éviter l’insurrection et temporise pour le moment. Démentant vouloir décréter l’Etat d’urgence, elle affirme vouloir régler la situation dans le calme.
Ainsi, le 5 septembre à Pakokku, situé 500 km au nord-ouest de Rangoon, les forces de l’ordre avaient tiré en l'air pour disperser plus de 300 moines. Au moins dix bonzes avaient alors été arrêtés et trois blessés dans des ratonnades à coup de cannes de bambou. Mais depuis le 10 septembre, des policiers ont été chargés de surveiller les monastères, et ce n'est certainement que le premier signe d'une intimidation croissante.
Le risque de répression
Les moines et la population sont très courageux de défier les autorités car ils prennent de gros risques en s'opposant ainsi à la junte militaire et ses 400000 soldats qui, rappelons-le, ont déjà réprimé des manifestations par le passé en n'hésitant pas à tirer à balles réelles sur les manifestants, faisant plus de 3000 morts en 1988, sans oublier que des milliers d'autres personnes sont en train de mourir dans les camps et dans les prisons.
Jusqu'à présent, le gouvernement n'a pas fait usage de la force contre les moines, mais on peut craindre que l'armée intervienne bientôt pour "sauver la face" et faire respecter son autorité.Le Président et dictateur birman Than Shwe.
Quand la politique ou le pouvoir est remis en question, la robe cannelle ou le drapeau blanc peut rapidement se souiller de sang. N'oublions pas que nous en avons eu de tristes exemples à Tiananmen en 1989 (3000 morts) et au Tibet en 1949 (1.2 millions de morts), sans parler des exactions commises par les régimes tyranniques qui sévissent ou ont sévit un peu partout dans le monde, où les contestations se sont toujours soldées par des milliers de morts.
Sachant qu'aujourd'hui il y a une lutte de pouvoir entre Than Shwe, le Président, et Maung Aye, le Chef des Armées, la bonne fin des manifestations actuelles est loin d'être assurée.
C'est pourquoi il est important que la communauté internationale supporte l'opposition au régime et fasse pression sur le gouvernement, notamment via les sanctions de l'ONU, afin qu'il modère sa politique et permette à l'opposition de s'exprimer librement et, idéalement, d'accéder au pouvoir. Espérons que la raison l'emporte sur les intérêts personnels, mais c'est un voeux pieux.
Dernières (tristes) nouvelles
26 septembre 2007 : suite aux nouvelles manifestations, la junte est intervenue violemment pour réprimer les manifestants, comme on pouvait s'y attendre. On dénombre 13 tués.
Au moins neuf manifestants ont été tués au cours des émeutes, dont deux moines et un journaliste japonais de l'agence de vidéo et photo APF, des dizaines d'autres moines ont été frappés à coup de crosses, une femme a été blessée ainsi que 31 membres des Forces de sécurité. Ils s'ajoutent aux trois moines et au civil tués ainsi qu'à la centaine de blessés de la veille. "Les protestataires ont lancé des briques, des bâtons et des couteaux en direction des forces de sécurité, donc les forces de sécurité ont été acculées à procéder à des tirs de sommation", a affirmé la télévision officielle, contrôlée par la junte.
Les manifestants qui ne se sont pas enfuis ont été appréhendés et jetés en prison. La junte surveille également une dizaine de pagodes.
Les autorités ont décidé de mettre l'opposante Daw Aung San Suu Kyi en prison ainsi que le comédien Zanganar.
Les émeutes du 26 septembre 2007. Document Moemaka Media/EPA.
2 octobre 2007 : les manifestants ne courent plus les rues, faute de combattants. En effet, de sources officieuses, suite aux émeutes, le régime militaire détiendrait 1700 prisonniers dans un campus.
Il y aurait eu 200 morts et plus de 6000 arrestations. Beaucoup de personnes auraient été arrêtées suite aux photographies prises par les policiers durant les émeutes.
Les villes sont en état de siège. Les rues sont bouclées par la police, les commerçants continuant leur travail mais sous surveillance policière. Le CICR est interdit de séjour.
Le Conseil de sécurité de l'ONU a adopté une déclaration exigeant un assouplissement du régime birman mais elle n'est pas accompagnée de sanctions. L'ONU a demandé à Than Shwe de faire preuve de "la plus grande retenue", de libérer toutes les personnes arrêtées lors de la répression des manifestations et de relâcher Aung San Suu Kyi ainsi que tous les prisonniers politiques.
Le Conseil des Droits de l’Homme a également demandé au régime militaire "d’assurer l’accès à l’information des médias pour le peuple du Myanmar". "Les autorités birmanes ne doivent plus croire que leur isolement auto-imposé les empêche de rendre des comptes", avait averti en ouverture de la session Louise Arbour, Haut commissaire des Nations Unies pour les Droits de l’Homme.
Quant au rôle de la société Total en Birmanie, selon une information belge, il serait loin de celui qu'on pense : Total joue le jeu de la dictature pour conserver ses parts de marché en redistribuant notamment une partie de ses bénéfices à la junte ! Plusieurs pays ont souhaité prendre des sanctions contre la société.
6 octobre 2007 : A l'initiative d'Amnesty International, plus de cent mille personnes ont manifesté contre le régime militaire birman dans plus de 30 capitales du monde, notamment à Wellington, Canberra, Bruxelles, Paris, Londres, New York,... Le régime détient toujours un bon millier d'opposants dont une majorité de moines bouddhistes.
12 octobre 2007 : Quatre dissidents pro-démocrates dont une femme ayant un jeune enfant ont été emprisonnés par la junte. Des témoins exilés à Bankgok, en Thaïlande, pays frontalier avec la Birmanie, déclarent que les prisonniers feraient l'objet de maltraitance, de torture et de privation de sommeil.
Entre-temps, l'ONU et l'Europe continuent leurs actions diplomatiques, alors que nous savons bien qu'il ne sert à rien de discuter avec Than Shwe qui prétend toujours conduire son pays vers la démocratie...
On peut déjà s'attendre à ce que les sanctions occidentales aient peu d'effet si ce n'est d'agacer encore un peu plus Than Shwe et ses sanguinaires acolytes.
L'Europe n'a plus investi en Birmanie depuis plusieurs années, tandis que l'Inde et la Chine ont tout intérêt à garder le contact avec leur voisin pour des raisons économiques mais aussi géopolitiques. S'il y avait une nation avec laquelle l'ONU devrait discuter, c'est bien la Chine.
De gros nuages noirs planent donc toujours au-dessus du Myanmar qui ne demande qu'à vivre en paix et en toute liberté.
Pour plus d'information, vous trouverez sur le site du "Nouvel Obs" un compte-rendu heure par heure (plus ou moins à jour et complet) des manifestations en Birmanie. Consultez également les blogs Burma et Burma Digest.

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