jeudi 9 août 2007

Universal Music vend son catalogue sans DRM

Le groupe Vivendi Universal Music, qui a pourtant la réputation d'être piratophobe, a annoncé aujourd'hui qu'il allait vendre son catalogue de musique en ligne sans dispositif anti-copie DRM, jusqu'en janvier 2008. L'initiative sera mise en place en collaboration avec des magasins en ligne comme Wal-Mart ou Amazon, mais pas avec iTunes d'Apple sans DRM, rapporte la BBC. Qu'est ce qui a provoqué ce changement d'attitude ?
La gestion numérique des droits
Depuis quelques années les ventes de CD sont en chute libre au point de représenter à peine 10% des ventes de chansons sur support numérique. L'essentiel de l'offre passe par des canaux parallèles et underground, notamment le piratage et les sites de peer-to-peer (P2P).
Pour mettre fin à ce piratage et récupérer des parts de marchés, les maisons d'édition ont décidé de distribuer leurs titres musicaux sur Internet, quitte à inventer de nouveaux services. L'une des solutions consiste à proposer les morceaux musicaux en téléchargement à 1 €.
En février 2007, le patron d'Apple, Steve Jobs, a demandé avec insistance aux majors de la distribution de musique d'abandonner l'idée d'installer des verroux numériques DRM (Digital Rights Management, à ne pas confondre à la Digital Radio Mondiale) sur les fichiers musicaux.
Les majors ont longtemps refusé sous le prétexte bien légitime que la DRM offrait une protection contre le piratage et assurait ainsi une juste rétribution des droits d'auteurs.
Néanmoins, EMI a fini par accepter l'idée de Jobs et propose depuis avril 2007, son catalogue de musique sans DRM sur iTunes afin que tous les amateurs de musique, et en particulier les millions d'utilisateurs d'iPod et d'iPhone puissent télécharger de la musique à très faible prix.
Peur d'une planète iPod
Mais pourquoi Universal Music refuse-t-il cette solution ? Le système iTunes mis en place par Apple cache en fait un monopole. L'iPod peut lire deux sortes de fichiers musicaux : les fichiers au format DRM, propriétaire d'Apple, et les fichiers MP3, un format au standard international ISO.
Si vous voulez exploiter la technologie DRM d'Apple, vous serez obligé de donner à Apple le contrôle total de votre collection musicale. Comme c'est le cas avec les baladeurs de Sony, aucun autre fournisseur de musique ne supporte le format d'Apple. Chaque fois que vous allez acheter un morceau musical sur iTunes, vous serez un peu plus verrouillé à cette marque et cela vous coûtera très cher le jour où vous déciderez de vous éloigner de l'iPod et d'iTunes.
Pour les sociétés d'enregistrements comme Warner, EMI ou Universal, il n'y a que deux alternatives : supporter le format DRM d'Apple mais cela équivaut à se vendre à Apple, supporter sa gamme de produits et augmenter son contrôle du marché de la musique en ligne.
L'autre solution est de vendre de la musique libre, sans protection. C'est l'objectif du format MP3 et d'autres formats ouverts dont la qualité est supérieure aux versions propriétaires.
Mais attention, ici aussi, les lecteurs Apple comme Sony sont "compatibles MP3"; ils transforment le format standard MP3 en ATRAC3+ et autre AAC. Vous ne pouvez donc plus retransférer par la suite vos fichiers musicaux vers votre ordinateur en espérant les réécouter, sans repasser par une moulinette. Heureusement tous les autres fabricants supportent le transfert USB sous protocole UMS qui est le seul à garantir la reproduction du format MP3 standard. Ainsi le fabricant Creative Zen vend des baladeurs supportant réellement le format MP3.
L'avantage du format MP3 est de pouvoir copier et jouer vos morceaux sur beaucoup plus de périphériques et donc en tirer davantage que sur un simple iPod.
Sur le plan commercial, aucun client ne va acheter des fichiers musicaux parce qu'ils sont verrouillés; le DRM ne fait pas vendre la musique. Aucun client iTunes n'achète de la musique pour le plaisir d'être verrouillé à l'iPod, sans avoir la possibilité d'utiliser des appareils concurrents.
Moralité : une solution propriétaire est toujours handicapante quand on souhaite changer de marque ou profiter de produits concurrents.
Actuellement, et tant que les lois européennes ou nationales l'autorisent (mais cela se fait encore librement aux Etats-Unis), l'amateur qui ne souhaite pas payer pour écouter de la musique, la télécharge tout simplement depuis un serveur P2P, où des millions de morceaux sont disponibles gratuitement, sans DRM. Si vous voulez convaincre une personne d'acheter de la musique, vous ne pouvez pas commencer par lui dire qu'il existe quelque chose de meilleur qu'un produit gratuit !
Analyser la réaction du marché
Il était donc inévitable qu'EMI ait accepté de publier son catalogue sans DRM, comme il est tout aussi inévitable qu'Universal est en train de tester cette solution pour se placer dans la meilleure position par rapport à la demande du marché.
Universal ne vendra pas de morceaux musicaux sans DRM à travers le réseau iTunes (sur lequel Apple prend 30%) mais il vendra son catalogue à travers les réseaux concurrents d'Apple. Mais étant donné qu'ils utilisent le format MP3, ces fichiers fonctionneront également sur les iPods via le réseau iTunes, les clients d'Apple pouvant obtenir de la musique sans DRM et compatible iPod pour 0.99 € par morceau, à l'exception des podcasts qui sont téléchargeables gratuitement.
Dans ses nouveaux termes, l'offre musicale d'Universal vise surtout à analyser la réaction des clients et tout effet éventuel de la piraterie en ligne sur les ventes.
L'offre est proposée via les e-boutiques de Wal-Mart, Amazon, Best Buy, RealNetworks, TWEC, PassAlong Music Store, Puretracks, et prochainement sans doute Google. Actuellement, sont au catalogue d'Universal, les artistes 50 Cent, Black Eyed Peas et Amy Winehouse.
Quant au prix des téléchargements, aucun détail n'a encore été communiqué à ce sujet. Si on se réfère à la politique d'EMI, il faut s'attendre à une hausse de prix de quelques dizaines de cents, mais rien n'est sûr.
Si au terme des 6 mois d'essai, Universal accepte cette pratique, il forcera les autres majors à suivre la tendance. Cela pourrait ouvrir le débat sur la question plus générale de savoir comment gérer la propriété intellectuelle dans la société digitale.
Plus généralement, cet effort consenti par les industries vise un objectif à long terme: augmenter la compétition entre fabricants et surtout vis-à-vis d'iTunes afin de déplacer le marché loin d'Apple, ce qui va exercer une énorme pression sur les prix et les autres conditions d'utilisation de la musique digitale. C'est la raison pour laquelle, il y a un mois, Universal a averti Apple qu'il n'accepterait pas un contrat à long terme pour vendre de la musique sur iTunes. Nous connaîtrons les résultats de cette guerre commerciale en 2008.

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