vendredi 7 juin 2013

L'espionnage au quotidien : PRISM

Les journaux anglosaxons The Guardian et le Washington Post du 7 juin 2013 ont révélé une affaire d'espionnage des citoyens à l'échelle internationale : le programme PRISM.
Selon Edward Snowden, un analyste américain employé par Booz Allen Hamilton, un sous-traitant de la National Security Agency (NSA), et aujourd'hui en fuite, des géants du web tels que Google, Microsoft, Facebook, YouTube, Yahoo, Skype, Apple et bien d'autres font l'objet d'espionnage ainsi que des citoyens américains et étrangers !

Extrait d'une présentation PowerPoint de la NSA divulguée par Edward Snowden.

Vous avez un compte sur Yahoo, Hotmail (Live Mail) ou Gmail, vous communiquez par e-mail et avez une liste de contacts, vous communiquez par GSM, êtes actifs sur Facebook, communiquez votre position GPS ou tchater sur Skype ? Sachez que dorénavant l'Oncle Sam vous écoute et vous lit ! C'est écrit noir sur blanc dans une présentation PowerPoint de la NSA.
Le scandale PRISM révèle au grand jour les activités obscures voire illégales des services d'espionnage américains sous le couvert du Congrès.
Edward Snowden aurait téléchargé ces données sensibles en août 2012 pendant qu'il travaillait chez le fabricant d'ordinateurs Dell, Inc. C'est fin 2012 que Snowden prit contact avec Glenn Greenwald, journaliste américain au quotidien The Guardian et lui remit une partie de ses fichiers.
En divulguant des documents secrets, Edward Snowden risque 30 ans de prison pour violation de secrets d'états, atteinte à la sécurité nationale et divers autres chefs d'accusation.
Edward Snowden cherche actuellement un pays d'accueil n'ayant aucun accord d'extradition avec les Etats-Unis. La Russie ne s'y oppose pas.
Violation de la Constitution américaine
La révélation de ce projet fait scandale car Internet est emblématique de notre liberté d'expression. Et à ce titre, PRISM comme d'autres programmes d'espionnage serait en violation avec la Constitution américaine.
En effet, contrairement aux démocraties européennes, la constitution des Etats-Unis dispose du 1er amendement qui interdit au Congrès d'adopter des lois limitant la liberté d'expression, de religion, la liberté de la presse ou le droit à s'assembler pacifiquement.
Le 4eme amendement précise également que les métadonnées récoltées par la NSA notamment sont protégées (elles ne peuvent pas être collectées sans mandat qui ne sera délivré qu'avec des présomptions sérieuses) mais en revanche il n'exclut pas l'espionnage des émails, messages instantanés et autres tchats sur les réseaux sociaux.
Bref, les activités de la NSA sont en violation avec la Constitution et ses responsables auront du mal à justifier la collecte massive de données privées, même après les évènements du 11 septembre... !
En parallèle se greffe la question sensible de la sécurité des agences de renseignements qui semblent incapables de contrôler l'activité de leur propres employés !
Le président Obama a dit clairement le 7 juin 2013 qu'il connaissait ce projet qui existe depuis 2006, du temps de Bush dont le père avait lui-même signé la loi du PATRIOT Act en 2001 qui étendait le pouvoir de surveillance électronique du FBI.
Il déclara également à propos d'Internet et de la collecte des émails par la NSA : "cela ne s'applique pas aux citoyens américains ou aux personnes vivant aux Etats-Unis". Affaire à suivre.

Le data mining
L'espionnage est presque aussi vieux que le monde et notamment depuis que les armées s'affrontent et que les industriels s'enrichissent.
Aujourd'hui grâce à Internet, aux réseaux digitaux et aux satellites, pratiquement plus aucune activité privée ne peut rester à l'abri des regards indiscrets bien longtemps. Tout le monde est connecté à Internet, communique via le web ou son smartphone, transmet des données sur la toile et ce à travers toute la planète 24 heures sur 24.
Le "data mining" consiste à rechercher des informations dans des bases de données au sens large. C'est un outil de prospection visant à trouver des structures originales et des corrélations informelles entre des données. Il permet de mieux comprendre les liens entre des phénomènes en apparence distincts et d'anticiper des tendances encore peu discernables.
Volume de données numériques
transitant à travers le monde
et vers les Etats-Unis. 
Doc TeleGeography/Google.
Pour la NSA et autres NGA, parmi les milliards d'informations anodines échangées chaque seconde à travers les réseaux (près de 125 terabits par seconde dont 16% à destination des Etats-Unis) il y a quelques messages transmis par des terroristes et autres fauteurs de troubles; ce sont ces messages, ces numéros de téléphones et ces individus que les services d'espionnage civiles et militaires essayent d'identifier.
Mais pour y parvenir, à défaut de cibler leur objectif et de connaître le motus operandi de ces suspects, la NSA est obligée de ratisser large et donc d'espionner toutes les communications, y compris celles des résidants étrangers et les réseaux sociaux, et c'est là que le bât blesse.
Car jusqu'à preuve du contraire les messageries et les réseaux sociaux sont des outils multimédia destinés au public, des lieux réputés pour leur liberté d'expression. A ce titre ils doivent rester ouverts - bien sûr dans le respect de la vie privée - et ne surtout pas faire l'objet d'activité d'espionnage, au grand dam de ce que pense la NSA !
Puisque tous les citoyens font potentiellement l'objet de suspicions de la part des Etats-Unis, que fait l'Europe ? Il est temps que le Parlement européen s'oppose à ce genre de pratiques criminelles et adopte lui aussi son 1er amendement interdisant toute limitation de la liberté d'expression !
L'affaire Snowden est devenue une affaire diplomatique et est loin d'être terminée.

Edward Snowden. Source AFP/Guardian.
Dernières nouvelles
Le 4 juillet 2013 le Parlement européen a chargé les députés de la Commission des libertés civiles de "mener une enquête sur les programmes de surveillance conduits par les Etats-Unis". Plusieurs auditions sont prévues au cours des prochains mois et un rapport public devrait clôturer cette enquête.
Le 2 août 2013, la Russie a accordé l'asile politique à Edward Snowden.
En août 2013, Edward Snowden a remis "en main propre" entre 15000 et 20000 documents au quotidien britannique The Guardian. Au bout de plusieurs mois de décryptage, le quotidien britannique révéla que les Européens espionnaient autant que les Américains !
En effet, The Guardian s'est notamment référé a un rapport daté de 2008, de l'agence britannique GCHQ concernant ses contacts européens. L'agence fait part de "son admiration concernant les capacités techniques" des services de renseignement extérieur allemand. Elle précise également que la DGSE française dispose "d'un avantage compte tenu de ses relations avec une société de télécommunications, qui n'est pas nommée". Quant à l'agence britannique, elle aurait joué "un rôle essentiel en conseillant ses homologues européens sur la façon de contourner les lois nationales destinées à limiter le pouvoir de surveillance des agences de renseignement".
En d'autres termes, selon The Guardian, Londres, Paris et Berlin espionnent ensemble et avec le même zèle que la NSA !
Le 25 août 2013, l'hebdomadaire allemand Der Spiegel a déclaré que les documents d'Edward Snowden ont révélé que la NSA a également pénétré dans le système de l'ONU pendant l'été 2012. La quantité de communications décryptées en trois semaines serait passé de 12 à 458.
Der Spiegel cite également un autre rapport interne selon lequel la NSA aurait surpris les services secrets chinois en train d'espionner les communications de l'ONU en 2011. 
Le journal affirme également que la NSA surveillait l'Union européenne après son déménagement dans de nouveaux bureaux à New York en septembre 2012 et détenait des plans de ses locaux.
Le 21 octobre 2013, parmi les documents de la NSA transmis par Edward Snowden, le quotidien espagnol El Mundo a révélé une liste de pays coopérant directement avec la NSA. Parmi ceux-ci on retrouve des petits pays européens inattendus comme les Pays-Bas, le Luxembourg ou la Suisse...


Le premier ministre Luxembourgeois Jean-Claude Juncker et le ministre des affaires étrangères avaient nié cette coopération. Ceci confirme les révélations du général Keith Alexander, patron du renseignement américain qui affirmait le 9 octobre 2013, devant la commission du renseignement de la Chambre des représentants, que les informations obtenues par Washington provenaient de "données fournies par des partenaires européens".
La NGA, l'agence d'espionnage du
Pentagone a signé un contrat
avec Google Earth.
Le 25 octobre 2013, Snowden a révélé que la NSA espionnait les communications GSM des chefs d'états, notamment de la chancelière allemande Angela Merkel depuis 2010 (qui apprit qu'elle était sous surveillance depuis 1999), de la présidente brésilienne Dilma Rousseff, de certains ministres français, italiens et grecs ainsi que des fonctionnaires des institutions européennes.
Le président Obama a assuré que les Etats-Unis fourniront à leurs alliés européens toutes les "informations" qu'ils réclament sur les activités d'espionnage électroniques.
Dans les documents de la NSA, on découvrit même une liste de pays coopérant directement avec la NSA. Parmi ceux-ci on retrouve des petits pays européens inattendus comme les Pays-Bas, le Luxembourg ou la Suisse...
L'affaire des écoutes a fait beaucoup de bruits en Allemagne qui est très sensible sur le sujet. Et pour cause. Ce pays a connu les méthodes d'espionnage Est Allemands de la Stasi...
Suite à ces révélations, l'Europe est restée timorée et n'a pas interdit aux Etats-Unis d'arrêter d'espionner les citoyens européens. Mais quand on apprend que Berlin et Paris n'agissent pas différemment des Etats-Unis, on sait a présent pourquoi.
Le 25 octobre 2013, une étude du Parlement européen publiée en 2013 révèle que le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, la Suède et bientôt les Pays-Bas, sont engagés dans la collecte et l'analyse d'importants volumes de données. On comprend mieux pourquoi les réactions européennes sont restées timorées !
Cette étude de cette 75 pages révèle notamment que la surveillance des communications existe depuis des décennies, et que la quantité de données est très vaste. Elle affirme que les programmes actuels "vont largement au-delà de ce qui était auparavant appelée la surveillance ciblée ou l'assemblage non-centralisé et hétérogène de formes de surveillance". Elle note qu'en Europe, le Royaume-Uni est le seul pays à se rapprocher de l'ampleur du programme de la NSA.
Cette étude révèle également que le GCHQ utilise un système de "réduction massive du volume" qui enlève 30% des données dénuées de pertinence telles que les téléchargements en peer-to-peer.
Les enregistrements des appels téléphoniques, les informations qui figurent dans les e-mails et les points d'entrées sur Facebook sont conservés pendant trois jours, alors que l'heure, la date, l'auteur et l'emplacement du contenu - les métadonnées - sont stockés pendant 30 jours.
Les mêmes activités de surveillance ont lieu en France qui occupait en 2010 le cinquième rang dans le monde en matière de collecte des données après les États-Unis, le Royaume-Uni, Israël et la Chine.
Enfin, selon cette étude, il y a de fortes présomptions indiquant que plusieurs, voire la totalité de ces États membres, échangent les données interceptées avec des services de renseignement étrangers, à savoir la NSA : "A un niveau très pragmatique, la surveillance à grande échelle semble avoir de fortes limitations et n'est certainement pas essentielle pour la prévention du crime".

Présentation Powerpoint de la NSA expliquant l'importance de la surveillance d'Internet, notamment des grands journaux en ligne, des messageries et des réseaux sociaux. Notez au-dessus du document la mention "TOP SECRET//COMINT//REL TO USA, AUS, CAN, GBR, NZL". Ceci indique que cette présentation fait partie d'un document top secret concernant le renseignement international (COMINT) relatif aux "Five Eyes", les Etats-Unis, l'Australie, le Canada, le Royaume-Uni et la Nouvelle Zélande.
Le 31 octobre 2013, John Kerry, le chef de la diplomatie américaine, a reconnu que certaines pratiques avaient "été trop loin", justifiant l'espionnage pour lutter contre le terrorisme notamment. Mais il confirma que le Président "procédera à un réexamen de ces pratiques" et que "cela n'arrivera plus à l'avenir".
Le 1 novembre 2013, malgré les bonnes intentions de Washington, l'Allemagne et le Brésil ont déposé à l’ONU un projet de résolution sur les libertés individuelles. Le texte a été soumis à la Commission des droits de l’homme de l’assemblée générale. Il ne mentionne aucun pays en particulier mais il vise clairement les Etats-Unis. Il prône la mise en place de mécanismes de supervision pour garantir la transparence de l’Etat au niveau de la surveillance des communications. "Pour obtenir le consensus, la proposition devra nécessairement être flexible quant aux limites de l’espionnage", estime Paulo José, du Centre de recherche en relations internationales de l’Université de São Paulo. "Il est indéniable que le poids de l’Allemagne va pouvoir apporter une plus grande légitimité à la résolution pour qu’elle soit approuvée", ajoute-t-il.
Le 7 novembre 2013 eut lieu la 8ème audition de l'enquête de la Commission des libertés civiles du Parlement européen. Des députés européens et des experts ont discuté des programmes nationaux d'espionnage et du rôle du contrôle parlementaire des services de renseignement au niveau national.
Le 4 décembre 2013 le Washington Post révéla que "la NSA recueille près de 5 milliards de communications par jour émises par les GSM à travers le monde", selon des documents top secrets et des interviews de responsables américains de l'espionnage. Cette activité "permet à la NSA de pister les déplacements des individus - et de cartographier leurs relations - en utilisant des méthodes qui étaient inimaginables jusqu'ici".
La NSA récolte ces données en se connectant directement sur les backbones (câbles intermédiaires à haut débit reliant les bâtiments) qui relient les différents réseaux mobiles dans le monde et collecte "incidemment" des données de géolocalisation de citoyens américains suspects.
L'intérêt de cette collecte, permise par le dialogue constant entre le GSM et l'antenne-relai la plus proche et de puissants algorithmes mathématiques, est de "retracer les mouvements et de mettre en lumière des relations cachées entre des personnes", explique le quotidien. C'est ce qu'on appelle le "data mining". 
Le volume de données enregistrées et stockées par la NSA atteindrait 27 terabytes, soit deux fois le volume de l'ensemble du contenu de la bibliothèque du Congrès !
J'espionne, tu espionnes, il espionne...
Finalement, l'affaire PRISM est bien tombée; elle a fait prendre conscience à tous les acteurs d'Internet que notre société est surveillée et que notre ordinateur ou notre GSM personnel est l'un de ses rouages. Ce n'est pas pour rien que le président des Etats-Unis utilise un GSM crypté !
Cette affaire révèle que l'espionnage se conjugue au quotidien. Mais ne soyons pas dupe en imaginant que l'affaire Snowden révèle une activité extraordinaire; en fait tout le monde espionne tout le monde, c'est vieux comme le monde !
Le reportage suivant nous rappelle que l'espionnage ne se limite pas au vol de dossiers comme jadis, mais s'étend à l'écoute des télécommunications, à la surveillance vidéo, à l'interception des e-mails et autres tchats... Bienvenu dans l'autre réalité.

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