mercredi 18 février 2009

Questions à la une : les paradis fiscaux

A voir sur La Une (RTBF) ce 18 février 2009 à 20h20 : "Questions à la une : on ira tous au paradis…"
Vous comprendrez comment, à travers le secret bancaire, les banques aident leurs clients à frauder le fisc en facilitant l'évasion fiscale vers Monaco, le Panama, le Grand Cayman, Antigua et d'autres paradis fiscaux.
NB. Dans le lien indiqué, consultez également les commentaires de certaines internautes bien placés auprès du ministère des Finances belges. Ils ne font que confirmer les propos tenus dans le reportage.
Quand l'éthique est bafouée
Les banques européennes respectent soi-disant un "code de bonne conduite européen", un code d'éthique qui doit en théorie éviter ce genre de pratiques frauduleuses.
Or si vous posez la question à un banquier, rien n'est plus simple que d'éluder la taxe européenne parmi d'autres impôts. Rendement garanti : au moins 20%.
Comme l'explique le reportage suivant filmé en caméra cachée dans une banque installée au Luxembourg - la filiale de Fortis pour dire clairement les choses - , il leur suffit de créer en votre nom une société off-shore qui sera gérée par la filiale ou la succursale off-shore de cette banque !
Vous voulez ensuite retirer de l'argent ici en Belgique ou au Luxembourg ? Pas de problème. Ce n'est qu'une question administrative. La banque de droit luxembourgeois vous proposera une carte bancaire anonyme dite "Primo" et le tour est joué.
Bien sûr toutes ces opérations doivent se faire discrètement et si vous voulez éviter des ennuis avec le fisc, mieux vaut ne pas porter sur soi ou avoir à son domicile des papiers relatifs à l'existence de ce compte off-shore...


Les Belges et le fisc
Le ministère belge des Finances estime qu'un belge sur dix fraude le fisc et disposerait d'un compte au Luxembourg. Si c'est vrai, par extrapolation on peut imaginer que la plupart des chefs d'entreprises fortunés ainsi que les stars ont un compte off-shore.
Bien sûr ils ne l'avoueront jamais... d'autant moins que ce compte numéroté est souvent mis au nom d'une autre personne de confiance (sa femme voire même une autre société par exemple) qui a tout intérêt à se taire car elle tire de plantureux avantages de cette situation !
Un secret bancaire bien gardé
Actuellement, il existerait 80 paradis fiscaux dans le monde dont plusieurs en Europe (Monaco, Jersey, Lichtenstein et Andorre) sans parler des pays où le secret bancaire est inscrit dans la constitution (Luxembourg) ou appliqué scrupuleusement (Autriche et Belgique). A quoi sert-il ? Ce secret bancaire est notamment mis à profit pour aider les clients souhaitant frauder le fisc !
La Belgique traque donc en théorie les gros fraudeurs mais étant donné le secret bancaire, elle ne communique aucune information aux pays étrangers, qui de se fait ne coopèrent pas non plus ! Le secret demeure et le serpent se mord la queue.
Un paradis... réservé aux gens fortunés
Toutes les grandes banques que vous connaissez (Dexia, Fortis, HSBC, ING, etc) sont représentées dans les paradis fiscaux, évidemment souvent sous d'autres enseignes.
Si vous avez de l'argent, ces paradis fiscaux sont donc à votre portée.
Vous" signifie-t-il que vous et moi pouvons en bénéficier ? Pas vraiment. En effet, les produits permettant d'éluder le fisc ne s'adressent pas aux salariés ordinaires ni même aux petites professions libérales qui peinent à trouver des clients. Pas plus qu'au petit directeur d'une PME qui travaille avec moins de 10 personnes et travaille 60 heures par semaine pour gagner à peine plus que vous (4000-10000 € brut/mois). Dans le monde du travail, tous ces "petits" profils de travailleurs représentent la majorité des emplois.
Ce ne sont pas ces éventuels petits fraudeurs que le Fisc recherche en priorité mais ceux à qui s'adressent les banquiers indélicats.
Qu'on ne se trompe pas de débat : dans tous les cas les banquiers parlent bien de personnes fortunées (suffisamment riches en tout cas pour perdre cent mille ou 1 million d'euros sans que cela n'affecte leur train de vie) et donc de produits financiers uniquement accessibles aux plus riches, aux grands chefs d'entreprises notamment.
L'évasion fiscale en chiffres
Combien de banques proposent des services facilitant l'évasion fiscale ? Pour fixer l'étendue de la fraude fiscale (car c'est bien l'objectif que vise sciemment le client : éluder le fisc), sachez que Fortis gère indirectement pas moins de 400 filiales off-shore, la Dexia une quarantaine !
Or, rien qu'au Luxembourg, il existe plus de 150 banques. Faites le calcul... Au bas mot, il existe plus de 5000 banques off-shore et autant de moyens offerts aux plus riches pour dissimuler leur argent.
Ces banques brasseraient quelque 11000 milliards d'euros, soit 11 fois le budget de la Belgique ! Rien que pour la Belgique, on estime que l'évasion fiscale représente au moins 30 milliards d'euros par an.
Que font nos ministres des Finances européens pour lutter contre cette fraude ? Ils sont impuissants et écoeurés devant ces pratiques car il n'y a aucun contrôle ! Devant les faits, plutôt que de perdre la face devant le public, aucun d'eux ne souhaite discuter du sujet avec les journalistes.
Car à défaut de pouvoir attraper les "gros poissons" (les chefs d'industries notamment), les contrôleurs des contributions se rabattent sur des proies plus faciles, celles qui ne pas protégées par leurs relations, les plus petits fraudeurs; ce sont souvent des personnes physiques (du salarié ou du pensionné ayant quelques économies à la profession libérale) et les directeurs des petites PME qui tous aimeraient bien ne pas donner 55% de leur bas de laine au Fisc...
En fait le problème de l'évasion fiscale concerne avant tout les grosses fortunes et les banques mettant des produits fiscaux à leur disposition. Sachant cela, la solution passe obligatoirement par une décision à l'échelle mondiale, impliquant l'OCDE notamment, tous les pays membres devant exiger la fin des paradis fiscaux ou leur inscription sur une liste noire...
Les présidents Obama et Sarkozy en ont parlé récemment. Rien ne les empêche de faire des rêves éveillés. Mais il y a un pas entre les idées et la réalité. Appliquer ces beaux principes à l'échelle mondiale est sinon illusoire, du moins peu réaliste voire illégal et dangereux.
Des riches influents
En effet, essayer d'interdire légalement les paradis fiscaux constitue un obstacle à la libre circulation des capitaux.
De plus, dans le monde exclusif des grandes fortunes, les riches veillent jalousement sur leur magot et leurs privilèges. Ils ont des relations et sont influents.
Tout à un prix, tout s'achète même la confiance aveugle des politiciens. La preuve, tous les ministres de Jersey sont de grosses fortunes et aucun d'eux ne va cracher dans la soupe...
Pire, certains sont en relation avec des hommes d'affaires influents. Les banques travaillant les unes avec les autres sur base de la confiance, si leur empire financier vacille, c'est tout un pan de l'économie qui risque de chuter, et par effet domino tout un système socio-économique qui peut s'écrouler, entraînant une crise majeure (comme celle que nous avons connue dans les années 1930 et celle de fin 2008 est loin d'être terminée...).
Des paradis fiscaux plus transparents
Bien malin ou plutôt dépourvu d'intelligence celui qui voudrait fermer ou bânir les paradis fiscaux du jour au lendemain. Plus malin sera celui qui essayera de négocier un accord ou d'édicter de nouvelles règles...
En effet, depuis octobre 2008 l'OCDE comme l'Europe font pression sur les banques et les Etats appliquant le secret bancaire afin qu'ils adoptent de nouvelles règles de bonne gouvernance, concrètement qu'ils offrent plus de transparence.
Petit à petit, les membres du G20 espèrent que les banques et pays concernés rentreront dans le circuit classique, et qu'un jour ou l'autre des pays comme le Lichtenstein (35000 habitants pour un PNB de... 1.2 milliards de $US !) ne seront plus sur la liste noire. Est-ce viable ?
En tous cas c'est un scénario qu'essayent d'appliquer l'Administration américaine ainsi que la Commission européenne avec un certain succès, même si les résultats sont encore timides. Mais l'essentiel n'est-il pas d'avancer.
Réactions
19 février 2009 : Il n'a pas fallu longtemps. Au lendemain de la diffusion de l'émission, une enquête parlementaire a été ouverte. Comme si nos ministres et autres sénateurs ne connaissaient pas le dossier. Pour qui nous prennent-ils ?
Ou sont-ils à ce point naïfs de croire que les banquiers sont au-dessus de tout soupçon et que tout le monde accepte sans réagir de payer jusqu'à 55% de taxes sur son salaire ou jusqu'à 80% de taxes sur ses revenus (notamment sur les droits de succession au 2°) ?
Tous les pays européens sont concernés. Dans leur bureau feutré et à l'abri des regards indiscrets, aucun banquier ne refusera d'aider un client. Enfin, nous verrons jusqu'où ira cette enquête et les Eurocrates de bonne volonté.
Dernières nouvelles
Mi-mars 2009 : à 3 semaines de la réunion du G20, il semble que tous les pays européens garantissant le secret bancaire n'aient pas envie de recevoir un blame de leurs confrères respectueux des "bonnes pratiques" et de figurer sur la liste noire des paradis fiscaux...
Ainsi au Luxembourg, Luc Frieden, ministre du Trésor et du Budget a confirmé qu'il maintiendra le secret bancaire mais qu'il était "prêt à discuter des moyens pour améliorer la coopération internationale dans la lutte contre les délits fiscaux".
Andorre s'est également engagé à faire de même d'ici le mois de novembre et le Liechtenstein va entamer des négociations avec l'Allemagne et le Royaume-Uni en vue d'accords bilatéraux d'échange d'informations. La Suisse doit également annoncer des "mesures concrètes" à ce sujet. Jersey a multiplié les accords d'échanges d'informations et devait conclure un accord avec la France.
Enfin, la Belgique a annoncé qu'elle allait supprimer son secret bancaire en 2010 avec les pays de l'Union européenne, puis progressivement avec les autres pays.
En parallèle, la Belgique a travaillé sur d'autres moyens pour lutter contre l'évasion fiscale, notamment sur les produits pétroliers. Ainsi, il y a quelques années la Belgique fixa une nouvelle loi concernant la vente des carburants à bas prix; c'est ainsi qu'en concertation avec les groupes pétroliers, on ne voit plus de pompes à essence "produit blanc" sur le territoire belge.
Avril 2009 : l'enquête parlementaire auprès du ministère des Finances n'a rien donné, comme si le Fisc refusait de parler, de peur sans doute d'avouer son impuissance à juguler le problème.
Bref, ne nous voilons pas la face : derrière les beaux discours, les règles et la vitrine transparente des banques, la fin des paradis fiscaux est loin d'être annoncée.

1 commentaire :

  1. Vous tenez un blog magnifique ! Les billets sont aussi riche en infos, qu'agréables à consulter... Bravo, et merci !

    RépondreSupprimer